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homme, dis-je, qui croit la perſonne qu’il aime la plus accomplie de toute la Terre ; peut donner une plus grande marque d’eſtime, que celle que je vous ay renduë en cette occaſion. Et je doute, pourſuivit-il, ſi je vous en aurois autant donné, en eſtant effectivement amoureux de vous, qu’en feignant ſeulement de l’eſtre : & en taſchant comme j’ay fait de le devenir. Que ſi malgré tous mes efforts, je n’ay pû paſſer de l’eſtime à l’amour, ce n’eſt ny le deffaut de voſtre beauté, ny celuy de voſtre eſprit qui en eſt cauſe : & c’eſt ſeulement que je ne me connoiſſois pas encore aſſez bien, & que je ne sçavois pas que rien ne pouvoit effacer de mon cœur les premiers ſentimens qu’il avoit receus. Ainſi, Madame, à parler raiſonnablement, j’outrageois plus Ameſtris que vous, lors que je m’attachois à vous ſervir ; puis que je taſchois de diſposer d’un cœur qui n’eſtoit plus en ma puiſſance, & qui eſtoit abſolument en la ſienne. Advoüez encore la verité, reprit Anatiſe, vous cherchiez moins à avoir de l’amour pour moy, qu’à donner de la jalouſie à Ameſtris. Et vous croiriez apres cela, malgré toute la ſubtilité de voſtre eſprit, que je ne me tiendray pas plus outragée de vous, de sçavoir que vous ne m’avez jamais aimée, que s’il eſtoit vray que vous ne m’euſſiez quittée que par inconſtance ! Ha Aglatidas, que vous vous eſtes trompé ſi vous l’avez creu ! Il eſt des inconſtants, adjouſta-t’elle, dont le ſouvenir eſt cher, & à qui on ſeroit bien aiſe de pardonner : mais à un fourbe ; mais à un homme qui nous trompe ; il n’eſt point de vengeance ſi violente qui ne ſoit trop douce pour le punir. Si je vous avois proteſté mille, & mille fois, interrompit Aglatidas, que je mourois d’amour pour vous, & que vous m’euſſiez