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les ſentimens qu’Otane a pour moy, ne ſe peuvent nommer amour : & je ſuis perſuadée que l’on s’abuſe, lors que l’on dit que l’amour & la jalouſie ſont inſeparables. Je croy qu’elles ſe ſuivent : mais je ne penſe pas qu’elles puiſſent regner enſemble dans un cœur. Cependant, diſoit-elle encore, n’admirez vous point mon malheur ? Aglatidas croit ſans doute m’avoir ſensiblement obligée : & s’imagine, à mon avis, qu’Otane eſtant ſatisfait, il en ſera moins chagrin pour moy : & tout au contraire, il redouble ma perſecution ſans y penſer. De plus, peut-on eſtre plus innocente que je le ſuis ? Vous sçavez Menaſte, que depuis la Lettre que je receus par vous, & où je ne reſpondis point, l’en & y refuſé pluſieurs autres : & que ſi je me ſuis ſouvenuë d’Aglatidas, ç’a eſté malgré moy, & ſeulement en parlant avecques vous, ou en m’entretenant moy meſme : toutefois on diroit que les Dieux me veulent punir de quelque grand crime. Vous n’eſtes pas auſſi autant innocente que vous le croyez eſtre, reprit Menaſte, car enfin pourquoy avez vous épouſé Otane ? & eſtoit il juſte que vous employaſſiez ce grand & merveilleux eſprit que les Dieux vous ont donné, à inventer une ſi bizarre maniere de punir Aglatidas, & de vous juſtifier aupres de luy ? Ne parlons plus du paſſé, reſpondit elle en ſoûpirant, & ſongeons ſeulement au preſent & à l’advenir. J’y voy tant de choſes faſcheuses pour vous, reprit Menaſte, que vous me devez pardonner ſi je vous parle pluſtost de ce qui n’eſt plus, que de ce qui eſt, ou de ce qui peut eſtre : car pour moy j’avouë que je ne conçoy point du tout, ny ce qu’Otane fera, ny ce que vous ferez. En mon particulier,