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que l’on diſoit de luy eſtant le plus fort, il dit le ſoir à Ameſtris, qu’il la conjuroit de ne ſe negliger plus tant, & de faire quelques viſites. Mais comme elle y reſista, quoy que ce fuſt avec beaucoup de reſpect, ſon eſprit s’aigrit eſtrangement : & il luy parla avec autant de rudeſſe pour l’obliger à ſe parer, à aller à la promenade & au Bal, qu’un Mary jaloux & fâcheux euſt pû faire, pour empeſcher ſa Femme d’aller où Otane vouloit que la ſienne allaſt. De ſorte que ceſſant de luy reſister, elle luy dit qu’elle feroit ce qu’elle pourroit pour luy obeïr : & en effet dés le lendemain elle ſe coiſſa avec un peu plus de ſoing qu’à l’ordinaire, & elle fut au Temple à l’heure que les autres Dames y vont : mais ce fut avec une ſi grande melancolie dans les yeux, qu’elle n’inſpira point de joye à ceux de ſes Amis qui la virent, & par malheur deux ou trois perſonnes l’ayant veuë ſi triſte, & ayant apres rencontré Otane, luy dirent qu’ils ne demandoient plus pourquoy on avoit eſté ſi long temps ſans voir Ameſtris : puis qu’il paroiſſoit aſſez à ſon viſage qu’elle avoit eſté malade. Si bien qu’Otane qui sçavoit qu’elle ne l’avoit point eſté, concluoit qu’elle avoit quelque choſe dans l’eſprit qu’elle luy cachoit, & qu’il ne pouvoit découvrir. Ameſtris vécut donc durant trois ou quatre jours un peu moins ſolitaire : mais ce fut avec tant de contrainte, qu’elle ne la pût ſouffrir davantage. Car ſi elle voyoit des Amis d’Aglatidas, ſon ame eſtoit à la gehenne : ſi c’eſtoient des gens indifferents, ils luy donnoient quelque attaque de la pretenduë jalouſie d’Otane qui ne luy plaiſoit pas : ou s’ils eſtoient plus diſcrets, ils l’entretenoient du moins de choſes ſi oppoſées à ſon humeur preſente,