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n’eſtant preoccupée d’aucune affection pour luy, comme il sçavoit bien qu’elle ne l’avoit pas eſté. Car, diſoit-il, le jour qui preceda mon bon-heur, elle avoit eu une fierté inſuportable pour moy : je ne l’avois jamais trouvée ny plus cruelle, ny meſme plus incivile : & le lendemain elle ſe refond à m’épouſer, & elle m’épouſe en effet, ſans que je puiſſe concevoir par quelle raiſon ce bon-heur m’eſt arrivé. Mais qu’importe, reprenoit-il un moment apres, par quelle voye les biens nous arrivent, pourveû que nous les poſſedions ? Ameſtris eſt à moy, & tous mes Rivaux ne jouïſſent ſeulement pas de ſa veuë puis qu’ils ſont abſens : & il n’y a pas meſme aparence qu’ils ayent aucune part à ſon cœur, puis qu’elle ne les a pas choiſis, comme elle le pouvoit faire, & qu’elle leur a prefere un homme qu’ils n’aimoient pas. Mais apres tout, diſoit il, Ameſtris ne m’aimoit point, deux jours auparavant que je l’épouſasse : je n’ay employé ny charmes ny enchantemens pour changer ſon cœur : je ne demandois meſme preſques plus cette grace au Ciel, tant je trouvois peu d’aparence de l’obtenir : cependant tout d’un coup je ſuis heureux, et…… Il s’arreſta alors un moment ſans achever : puis ſe repentant de ce qu’il avoit dit, & de ce qu’il avoit penſé dire ; mais sçay-je bien que je ſuis heureux ? reprit il, & ne ſeroit il point vray que je n’aurois fait que changer d’infortune ? Enfin Otane (à ce qu’il dit depuis à un de mes Amis nommé Artemon, dont je vous ay deſja parlé) apres avoir bien examiné la choſe, & s’eſtre bien tourmenté, ne pût jamais déterminer en luy meſme s’il eſtoit heureux ou malheureux : & il s’en retourna chez luy aſſez reſveur, & aſſez melancolique. Il eut pourtant deſſein de taſcher