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mon eſprit, je me ſerois reſolu à la luy rendre. J’eſtois encore ſi prés du Throſne d’où, l’on m’avoit renverſé, que je ne croyois pas qu’un Roy peuſt vivre ſans Couronne : mais aujourd’huy que les charmes de la Princeſſe Mandane ont achevé d’enchanter mon cœur, & que je me ſuis deſacoustumé de la Royauté, l’amour a preſque eſtoussé l’ambition dans mon ame : Et ſi je pouvois paſſer ma vie dans quelque Iſle deſerte avec cette incomparable perſonne, ſans avoir ny Maiſtre ny Sujets, je m’eſtimerois tres heureux. Ne venez donc point accroiſtre mes malheurs, en réveillant une paſſion qu’une autre plus ſorte qu’elle a ſurmontée : & qui ne l’eſt touteſfois pas de telle ſorte, qu’elle ne puſt encore augmenter mon ſuplice, par de ſemblables propoſitions. Mais enfin Seigneur, que pouvez vous eſperer ? reprit la Princeſſe de Pont ; ſi je pouvois eſperer quelque choſe, reſpondit-il, je ne ſerois pas ſi malheureux que je le ſuis : & je vous declare que je n’eſpere rien, & que j’attens tous les jours infortunes ſur infortunes. Cependant vous pouvez aſſurer Cyrus, pour répondre autant que je le puis à ſa generoſité : que lors que j’apris que j’eſtois ſon Rival, je n’eus guere moins de douleur, que j’en avois eu d’avoir perdu deux Couronnes. Mais comme il y auroit de l’injuſtice à deſirer les choſes impoſſibles, obligez le à ne m’accuſer point d’ingratitude, ſi je ne luy rends pas la Princeſſe Mandane. Je l’ay aimée devant qu’il la connuſt : & je l’aimeray juſques à la mort. Si j’avois quelque choſe en mon pouvoir,. Adjouſta ce Prince en ſoûpirant, que je puſſe luy offrir pour voſtre rançon, je le ferois avecque joye : mais ma chere Sœur, la Fortune m’ayant tout oſté, & n’ayant plus que Mandane en ma puiſſance, vous me pardonnerez donnerez