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vie, & juſques à commander que l’on ne tiraſt point contre luy quand on le connoiſtroit. Depuis cela, Seigneur, il vous a redonné la liberté ; il vous a rendu ce qu’il avoit conqueſté dans vos Eſtats, il vous a fait donner des Troupes pour vous oppoſer à ceux qui s’eſtoient ſous levez contre vous ; & il vous offre un Royaume preſentement, pourveû que vous luy rendiez la Princeſſe Mandane, dont vous ne ſerez jamais aimé, Tout ce que vous dites là ma Sœur, repliqua-t’il, paroiſt ſans doute raiſonnable : & il j’avois plus d’ambition que d’amour, ou pour mieux dire encore ſi mon amour n’eſtoit pas plus ſorte que ma raiſon : il eſt certain que je devrois & par generoſité, & par politique, & par ambition, écouter la propoſition que vous me faites. Mais en l’eſtat où eſt : mon ame, il ne m’eſt pas poſſible d’y ſonger ſeulement : & je m’eſtonne comment la Princeſſe Araminte peut s’imaginer, que l’on puiſſe quitter ſi facilement ce que l’on aime : elle, dis-je, qui a eu l’équité d’aimer un Prince de qui le Pere eſtoit devenu ennemy declaré de ſa maiſon. Seigneur, reprit elle en rougiſſant, Spitridate aimoit Araminte, & Mandane n’aime pas le Roy de Pont. Si j’aimois cette Princeſſe parce qu’elle m’aimeroit, repliqua-t’il, je devrois changer pour elle dés qu’elle ne m’aimeroit plus : mais l’aimant parce qu’elle eſt la plus aimable perſonne de la Terre, je l’aimeray eternellement, quand meſme elle ne m’aimera jamais. Si j’euſſe sçeu, adjouſta-t’il, lors que la Fortune fit que j’eus le bonheur de ſauver la vie à cette Princeſſe, en la retirant des abiſmes de la Mer (s’il faut ainſi dire) qu’Artamene eſtoit Cyrus, & que Cyrus eſtoit mon Rival, peut-eſtre qu’en l’eſtat qu’eſtoit