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premier Nom, repliqua-t’il, que je n’oſeray preſques le prendre, quand meſme le Roy mon Pere me l’ordonnera : il faut donc l’aller obliger de vous le commander d’authorité abſoluë, reprit Cyrus, & en effet ce Prince ſe preparoit à mener Cleandre à la Tente du Roy ſon Pere, lors qu’il entra dans celle ou ils eſtoient. A peine y fut-il, que Cyrus le luy preſentant, recevez aveque joye, luy dit-il, un Prince digne d’eſtre voſtre Fils : & digne de plus de Couronnes, que la Fortune toute prodigue qu’elle eſt quelqueſfois, n’en sçauroit donner. Le Roy de Phrigie euſt bien voulu garder le reſpect qu’il avoit accouſtumé de rendre à Cyrus ; mais ce Prince voulant qu’il embraſſast Cleandre, & les ſentimens de la Nature eſtant plus forts que toutes les regles de la civilité, il l’embraſſa en effet avec une tendreſſe extréme, & un plaiſir inconcevable. Car dés qu’il aperçeut Cleandre, il vit une reſſemblance ſi grande de luy à ſa chere Elſimene, qu’il en changea de couleur : de ſorte que ſon cœur ne luy diſant pas moins fortement que ſes yeux & ſa raiſon que Cleandre eſtoit veritablement ſon Fils : il le receut avec toutes les marques d’affection qu’un Pere genereux pouvoit donner. Seigneur, luy dit Cleandre, me pourrez-vous bien reconnoiſtre, apres ce que j’ay eu le malheur de faire contre vous ? Ouy, luy repliqua le Roy de Phrigie en ſous-riant ; & il m’eſt meſme advantageux de vous advoüer pour mon Fils : puis que ſi cela n’eſtoit pas, il faudroit que je vous reconnuſſe pour mon Vainqueur. Si vous m’avez pardonné ce crime, reſpondit-il, ne m’en faites plus ſouvenir : C’eſt un crime ſi glorieux, interrompit Cyrus, que je doute ſi le Roy vôtre Pere voudroit que vous ne l’euſſiez pas commis : joint, qu’à ce