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aime en ſecret, & qu’il ne me le die plus jamais. Elle n’eſtoit pourtant pas tout à fait d’accord avec elle meſme ſur cét article : & elle eut l’ingenuité de l’advoüer à Cyleniſe, lors qu’elle fut ſeule aupres d’elle, & qu’elle luy raconta tout ce qu’elle avoit penſé. Mais enfin, Madame, l’illuſtre Cleandre agit ſi judicieuſement, & avec tant de reſpect & de diſcretion pour la Princeſſe durant tout l’Hyver, qu’elle fut à la fin contrainte d’abandonner ſon cœur à l’innocente paſſion qui s’en vouloit emparer. Elle ne la fit touteſfois paroiſtre à Cleandre, que ſous les apparences d’une amitié ſolide & ſincere, & luy diſant touſjours qu’il faloit qu’il reglaſt la ſienne de cette ſorte : parce qu’il y avoit un obſtacle invincible, qui s’oppoſoit à ſon bon-heur. Car (luy dit-elle un jour, apres qu’il eut obtenu d’elle la revocation de ce cruel arreſt qui luy deffendoit de l’entretenir quelqueſfois de ſon amour) ſi vous ne rencontriez de difficulté à voſtre bon-heur, que parce que je ne vous eſtimerois pas ; que parce que j’en eſtimerois un autre plus que vous ; ou que parce que je ſerois inſensible ; le temps pourroit changer toutes ces choſes : mais je vous avouë ingenûment que je trouve en voſtre perſonne & en voſtre eſprit, tout ce qui eſt neceſſaire pour acquerir mon eſtime : vous m’avez rendu cent mille ſervices en la perſonne du Roy & en la mienne : je ſuis perſuadée que vous m’aimez : mon inclination me porte à ne vous haïr pas : & toutes choſes enfin, à la reſerve d’une ſeule, contribuent à lier noſtre amitié. Mais, Cleandre, apres toutes ces choſes, toute l’Aſie sçait que vous ne sçavez qui vous eſtes : & comme vous ne le sçaurez peut-eſtre jamais, & qu’il faudroit un miracle, pour faire que quand meſme vous le sçauriez,