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meurtrier, qui ne le voulut jamais perdre de veuë ; il ſentit ce que l’on ne sçauroit dire, & ce que l’on ne peut meſme imaginer. Cleandre & Adraſte eſtoient alors en eſtat bien different : car le premier avoit tué le Sanglier qui eſtoit le ſujet de la chaſſe, & qui deſoloit toute une province : & Adraſte avoit tué le ſuccesseur d’un Grand Roy ; le Fils de ſon Protecteur, & ſon Protecteur luy meſme : & ce qui eſtoit encore le plus eſtrange, le Frere de la Princeſſe qu’il aimoit, & qu’il croyoit devoir bientoſt épouſer. Auſſi avoit il dans les yeux tant de douleur, tant de rage, & tant de fureurs differentes, que jamais on n’a entendu parler de rien de ſemblable. L’on eut beau le vouloir empeſcher de voir Creſus, il s’échapa de ceux qui le vouloient retenir, & fut ſe preſenter à ce Prince : mais avec des paroles ſi touchantes, qu’il en attendrit meſme le cœur de ſes Rivaux. Il demandoit quel ſuplice on luy vouloit ordonner ? Il prioit qu’on le chaſtiast rigoureuſement ; il conjuroit qu’on ſe haſtast de le punir ; & il diſoit enfin tout ce qu’un homme qui vouloit effectivement mourir pouvoit dire. Il meſloit le Nom de la Princeſſe à toutes ſes pleintes : & ſans avoir deſſein de vivre, il diſoit pourtant tout ce qu’il faloit pour obliger Creſus à luy pardonner un crime, qui n’eſtoit pas en effet un crime, mais un malheur tres funeſte, & tres digne de pitié. Auſſi Creſus luy meſme en fut-il émeû de compaſſion : & agiſſant en Grand Prince, il luy pardonna genereuſement ; ſe contentant de le prier de le laiſſer pleindre ſon malheur en liberté. Adraſte ſe retira donc, & ſe laiſſa conduire à ſon logis, ou on le garda : mais le lendemain ayant sçeu que l’on avoit porté le corps du Prince Atys