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que de partir de Sinope. Le Roy n’eut pas plustost fait cette derniere liberalité, qu’Artamene fut s’en resjoüir avec Philidaspe ; qui reçeut son compliment, avec beaucoup de civilité ; qui dans le fonds de son ame, avoit encore pourtant quelque espece de jalousie, de toutes les carresses que Ciaxare avoit faites à Artamene. Cependant mon Maistre estant regardé comme le Liberateur du Roy ; c’eust esté se rendre criminel, que de ne le carresser pas : si bien que tant par cette raison, que parce qu’en effet il à ce don particulier, d’attirer les cœurs de tous ceux qui le voyent ; il fut visité, loüé, & carressé de toute l’Armée. Mais entre les autres, ceux qu’il devoit commander, en eurent une joye inconcevable : & vindrent luy rendre leurs premiers devoirs, avec des marques d’une satisfaction, que je ne sçaurois exprimer. Philidaspe & luy se visiterent aussi : & nous sçeusmes qu’il se disoit estre de la Bactriane, & de fort bonne condition.

Comme la Bataille avoit esté tres sanglante, de tous les deux costez, les choses ne furent pas si tost en estat de pouvoir songer à combattre de nouveau ; c’est pourquoy le Roy voulant advertir la Princesse sa Fille de tout ce qui s’estoit passé ; & voulant favoriser mon Maistre, en l’en faisant connoistre & carresser ; luy commanda d’aller jusques à Ancire, porter une Lettre à Mandane : afin de la pouvoir assurer mieux que tout autre, & de sa vie, & du gain de la Bataille. Aussi bien, luy dit le Roy en sous-riant, un homme qui porte encore le bras en écharpe, peut avec bienseance quitter l’Arméee pour quatre jours, sans craindre d’estre pris pour Deserteur ; & ne refuser pas cette Commission, à la priere de ses Amis. Je vous laisse à juger, Seigneur,