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veux que chacun se prepare à faire son devoir & à m’imiter. Pendant cette contestation, les quatre Vaisseaux qui nous donnoient la chasse, & qui estoient beaucoup meilleurs voilliers que le nostre, estoient desja si proches, que je jugeay qu’il n’y avoit plus rien à faire, qu’à penser à se deffendre : n’estant pas croyable que celuy qui n’avoit pas voulu se retirer, voulust se rendre sans combattre. Je commençay donc d’aider au Prince à donner les ordres : & apres qu’il eut commandé à tous les siens de ne tirer point, qu’ils ne fussent un peu plus prés que la portée de la fléche ; & à son Pilote de le porter tousjours sur l’Admiral des Ennemis, Feraulas & moy nous nous rengeasmes aupres de luy. Je suis obligé de rendre ce tesmoignage à sa Vertu, que jamais peut-estre il ne s’est veû dans un si grand peril, plus de fermeté qu’il en parut en l’ame de ce jeune Prince. Il fit mettre un Arc & un Carquois aupres de luy, outre celuy qu’il avoit à la main & sur l’espaule ; quantité de fleches, avec plusieurs javelots : Mais il ne s’avisoit pas, de demander un Bouclier, tant il songeoit peu à éviter le peril ; si je ne luy en eusse fait donner un, pour s’en servir lors qu’on aborderoit les Ennemis.

Cependant le fameux Corsaire qui ne doutoit point du tout, qu’il ne nous prist sans combattre, veû l’inégalite de nos forces ; commença de nous faire signe d’ameiner ; mais Artamene, qui par sa hardiesse avoit enfin inspiré de la valeur à tous ces Soldats, & à tous ces Mariniers, ayant commandé au Pilote de le mener droit aux Ennemis, & de tascher de gagner le vent ; il fut si promptement & si adroitement obeï, qu’en fort peu de temps nous fusmes à la portée de la fléche les uns