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Mais s’il eut le bonheur de n’avoir pas de guerre fort considerable ; il eut aussi le malheur de se voir presque tousjours à la veille d’en avoir : tantost contre ses anciens Ennemis les Rois d’Assirie ; tantost contre ses Alliez ; tantost contre ses propres Subjets.

Neantmoins au milieu de tant d’inquietudes, que ces remuëmens continuels luy donnoient ; sa Cour ne laissoit pas d’estre la plus superbe de toute l’Asie. Car comme vous sçavez que la Nation des Medes aime les plaisirs & la magnificence ; & qu’Astiage en son particulier, estoit fort sensible à tous les divertissemens, malgré ses chagrins & ses inquietudes ; Ecbatane ne laissoit pas d’estre le sejour du monde le plus agreable. Ce Prince avoit observé cette coustume, depuis la Naissance de Ciaxare son Fils, de ne manquer pas toutes les années, d’en faire celebrer le jour, par des resjoüissances publiques : & de le conduire luy mesme au Temple, pour y remercier les Dieux de le luy avoir donné ; & pour les prier encore, de le luy vouloir conserver. Le jeune Ciaxare pouvoit avoir seize ans, & la Princesse sa Sœur quatorze, lors qu’une de ces Festes arrivant, il y advint une chose, qui troubla estranggement la ceremonie : car comme Astiage partit un matin de son Palais pour aller au Temple, y mener le Prince son fils ; tout d’un coup la clarté du jour commença de diminuer : & le Soleil s’éclipsant, il y eut une si grande obscurité sur toute la Terre, qu’à peine se pouvoit-on reconnoistre : & ce peu de lumiere qui restoit, avoit je ne sçay quoy de si lugubre ; que l’aveuglement absolu, eust en quelque chose de moins effroyable. Cét accident surprit infiniment Astiage : tout le peuple mesme ne prit pas cela pour un bon augure ;