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LES DÉTRACTEURS DU JOURNALISME


Baudelaire, à qui vous pourrez toujours reprocher d’avoir écrit Une Charogne[1] et Femmes Damnées, d’être l’initiateur de l’école décadente

  1. Le poète des Fleurs du mal a si mauvaise réputation que nos honnêtes dames, naturellement, vont à lui d’un élan instinctif. Les personnes distinguées que gêna la double apothéose de Victor Hugo font volontiers de la « réclame » à l’éminent auteur de la Charogne. Et puis on se rappelle vaguement les notes et notules où ses contemporains, Théophile Gautier, par exemple, ou M. de Banville, ont esquissé sa silhouette coutumière : « Sa politesse était excessive jusqu’à paraître maniérée. Il mesurait ses phrases… Ses gestes étaient lents, rares et sobres… La froideur britannique lui semblait de bon goût. » Bref il n’avait rien de spontané ni de naïf. Il était (disons-le franchement ; cela ne diminue point sa renommée), il était un peu « poseur ». Mais un certain degré de pose n’est pas inutile pour réussir dans les cénacles et rayonner sur les salons. Baudelaire a stupéfié maint bourgeois en confessant la prédilection perverse qui lui faisait aimer
    Les visages rongés par les chancres du cœur.

    Le « dandysme satanique » de Baudelaire attira et retint bon nombre de badauds. Son Spleen plaît aux bons snobs.

    (gaston deschamps, le Figaro, février 1903.)