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Son discours fut négatif : il se borna simplement à repousser les contradictions et à nier les preuves. Il ne pouvait compter sur la clémence du Président, puisqu’il ignorait le crime.

Quand il en vint là, le juge dut l’arrêter. Le greffier, malgré le sérieux de l’homme et l’horreur du crime, souriait en écrivant. Il y avait devant la table du juge d’instruction un être singulier qui mimait le magistrat avec un talent réel, qui colorait sa voix monotone avec les tons du juge, qui plissait un visage terne dans les rides expressives de la figure placée en face de lui, qui semblait glonfler ses vêtements flottants avec des gestes exactement empruntés. Si bien que de l’apparence vague qui avait frappé le juge d’instruction à l’entrée de son accusé, il se dégageait maintenant l’image nette, précise, d’un homme de loi qui discute avec un confrère ; comme si on avait forcé les traits d’un dessin flou, gris et fondu, jusqu’à lui donner le tranchant d’une eau-forte où le blanc crie contre le noir.

Le juge entra au cœur de l’affaire, avec autorité. Il ne discuta plus les possibilités, mais les faits. La gorge de la victime avait été coupée par une main exercée — on savait au moyen de quel instrument. Le juge passa sous les yeux de l’homme un couteau, taché de sang, qu’on avait saisi derrière son lit — un fort couteau de boucher. Le dos de la lame était épais d’un demi-doigt. C’était le premier lien visible établi entre l’homme et le crime. L’effet fut prodigieux.