Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/47

Cette page n’a pas encore été corrigée

rouge, éclairé par moments, scintillait comme une nappe de sang. Une yole était en panne près du rivage, et barbotant à mi-jambes dans la vase, des hommes étrangement accoutrés gagnaient la plage, ployés sous des fardeaux. Quelques-uns, couverts de surcots de bure avec leurs cagoules, tenaient des lanternes dont le reflet était pareil à la flamme du soufre. On ne voyait la figure d’aucun ; mais cette lumière verdâtre illuminait un fouillis de sayons, de pourpoints crevés et tailladés de bleu ou de rose, de toques emplumées, de hauts-de-chausse et de bas de soie. Sous les capes à l’espagnole brodées d’or ou d’argent, brillaient par éclairs les plaques d’émail des ceintures ou des baudriers, flamboyaient le pommeau d’une dague, le bout de quillon d’une épée ; deux haies d’hommes coiffés de morions, portant rondache, pertuisane, encadraient le convoi. Tous se démenaient et s’agitaient ; les uns montraient la falaise du bout de leurs arquebuses ; les autres, drapés de manteaux, sanglés dans leurs pourpoints à la marinière, dirigeaient par leurs gestes les hommes qui s’avançaient pesamment, chargés de caisses oblongues à bandes de fer. Et, malgré leurs gesticulations et le cliquetis qu’on aurait dû entendre des brigantines heurtant les cuirasses, des pertuisanes entre-choquées, des salades tintantes, nul bruit ne montait jusqu’aux trois gabelous : les manteaux déployés de ces hommes et leurs chapes semblaient étouffer tout tumulte.