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sourire. Elle venait malicieusement vers vous ; d’un bond elle enfonçait dans les vôtres ses genoux pointus, en fronçant le sourcil ; elle faisait tourner son doigt très vite sous votre œil, pour « Jouer aux yeux, » et, la main caressant la figure, parfois les lèvres, en croix de Malte, elle récitait d’un délicieux ton enfantin :

« Menton bis — bouche d’argent — nez cancan — joue rôtie — joue brûlée — petit œillet — grand œillet — toc, toc, toc, il est marié ! »

Ainsi cette pâle corolle, tour à tour plus femme qu’enfant, plus enfant que femme, avait fleuri entre deux blocs de grès : un père triste, vieux, et un gros homme renfrogné qui venait par intervalles. Ce père ne travaillait pas souvent. Quelquefois il allait visiter un magasin obscur, fermé à porte cochère, où il devait avoir ses outils ; quelquefois il passait la nuit dehors. Rentrant assez blanc au matin, il ne parlait de la journée. Louisette avait mis l’œil à une fente de la grande porte. Impossible de rien voir de clair : de longues choses rouges, d’étroites choses jaunes, des choses blanches qui brillaient. Un jour, à la brune, elle avait volé la clef : vite, sur la pointe des pieds, d’un regard circulaire elle avait aperçu de la paille, des paquets de corde, et, parmi un amas de bois rougeâtre, où luisaient des lignes de laiton, un grand soc de charrue à demi enveloppé. Certes, il n’y avait pas de doute : elle en avait vu chez sa tante, à la campagne, près de Gentilly. Comme la vie lui