Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/28

Cette page n’a pas encore été corrigée

Je crois que ma digestion est mauvaise. Il y a des jours où mon ventre mugit comme un taureau. Il faut se garder de ces inconvénients. Ne vous gênez pas, mes amis, si vous êtes incommodés. L’anathymiase peut monter au cerveau, et on est perdu. L’empereur Claude avait coutume d’agir ainsi, et personne ne riait. Mieux vaut être incivil que risquer sa vie. »

Il songea encore quelques instants ; puis il dit :

« Je ne peux chasser mon idée. Quand je pense à la mort, j’ai devant mes yeux toutes les personnes que j’ai vues mourir. Et si nous étions sûrs de notre corps, après que tout est fini ! Mais, pauvres nous, misérables que nous sommes, il y a des puissances mystérieuses qui nous guettent, je vous le jure par mon génie. On en voit dans les carrefours. Elles ont la forme de vieilles femmes, et la nuit elles sont faites en manière d’oiseaux. Un jour, quand je demeurais encore dans la rue Étroite, mon âme m’est montée au nez, de frayeur ; il y en avait une qui allumait un feu de roseaux, dans une niche du mur ; elle versait du vin dans une gamelle de cuivre, avec des poireaux et du persil ; elle y jetait des noix avelines et les examinait. Dieux irrités ! quels regards elle dardait ! Après, elle prit des fèves dans son sac et les éplucha avec ses dents aussi vite qu’une mésange qui pique du chenevis ; et elle crachait les enveloppes autour d’elle comme des cadavres de mouches.