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Je pris une lanterne de fer-blanc ; je l’allumai et je sortis. Pourquoi je m’en allais, c’était une manière d’idée qui m’était venue, pas claire, bien sûr, et contre le règlement ; mais ça me tirait le cœur de voir une garçaille comme cela, blanche et blonde, pleurer à se rougir les yeux. La grand’route menait droit sur le bourg ; je sautai dans les champs, et je la suivis en fermant ma lanterne. Le temps s’était refroidi encore, et il neigeait maintenant à petits flocons. Malgré la nuit, je vis que la route traversait le mitan du village, avec les maisons de chaque côté, le dos aux terres. Comme chez nous, souvent, le bûcher tenait le fond, avec une lucarne carrée sur le mur, par où on entendait bien ce qui se passait dans la salle. Il y avait des maisons où on ronflait — d’autres où j’entendais des pas réguliers — et à une où on riait fort je m’accoudai et j’écoutai. Une grosse voix, un peu éraillée, disait : « Kanaillen francs-tireurs ! Morgen kapout ! » Je n’avais compris que le mot francs-tireurs ; j’écartai doucement les bûches avec ma baïonnette, et je regardai. Deux paysans, l’un jeune, l’autre vieux, étaient debout, tête nue, les mains liées, leur blouse bleue flottante ; un jeune sous-lieutenant se tirait la moustache, assis à une table, près de la chandelle ; et c’était un vieux sergent qui leur parlait. Deux autres hommes étaient devant le feu.

L’idée me vint tout de suite. Je courus sans bruit à l’entrée du village ; j’accrochai la lanterne dans un arbre et je tirai la planchette à coulisse. La lumière