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et que si tu ne peux plus tailler les pièces de bois à l’arsenal, c’est que les Prussiens ont taillé le bras qui menait la hache. Et puisque tu ne peux pas écrire ton histoire, tu me la raconteras telle que nous la connaissons tous deux, mais avec les mots que tu connais mieux que moi, et je la copierai sur un cahier pour que Milo puisse la lire un jour. »

Ici, il faut vous dire que j’ai embrassé ma femme ; elle a des joues roses comme une pomme d’api. Maintenant encore, elle ne voulait pas le mettre sur le papier ; elle dit que ça la ferait rougir. Mais je veux que tout le monde sache comme je l’aime tout plein ; la récompense de mes peines, c’est ma petite femme Jacquette. Je vais vous expliquer comment nous sommes pour écrire. Je me promène dans la chambre en fumant ma pipe ; Jacquette écrit à la table ; mon petit gars Milo nous regarde avec ses yeux ronds — et notre Marianne ronronne tout doucement dans son berceau d’osier ; elle a une mignonne figure bouffie, et ses petits yeux en trous de vrille sont fermés. S’il plaît à Dieu, ce sera une belle fille. Nous avons un poêle aussi, et des châtaignes qui grillent ; Jacquette en grignote de temps en temps pour se reposer ; et ça n’est pas défendu non plus de se rafraîchir le gosier avec une bonne bolée de cidre. Le plancher a été lavé au savon ; il y a de grandes raies brunes parmi les nœuds du sapin ; ça réjouit le cœur d’avoir une chambre propre ; et l’air est tout embaumé par les épices du magasin.