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Quand le régiment partit pour le camp, il nous fallut, à Podêr et à moi, nous appuyer la route à pattes. Le soleil de juillet tapait dur ; nos figures rouges et moites étaient plaquées de poussière blanche. C’était une poudre fine qui empâtait la langue et « groulait » sous les dents. Alors Podêr me « tapa au frique, » autrement il me chipait de la braise de bouchon en bouchon pour lamper des bolées. Et il devint mon ami dévoué. Il avait trimardé, le bon Podêr. Il avait mangé de la grand’route à coups de souliers, et dormi dans le fossé, le derrière à l’air. Il avait « croûté » un peu n’importe comment, des fois sur le pouce, des fois pas du tout.

« Vois-tu, bleu, disait-il, les trimardeurs, ça n’a pas de veine. Aujourd’hui qu’il y a des cheminots pour mener le monde dans des wagons, les pétrousquins ne vont plus en campagne. Je voudrais me mettre dans le commerce. Quand la petite sera sortie de condice, nous aurons une roulotte. »

La petite était en condition dans un château près de Quimperlé. Les monsieurs étaient très avares et ne lui donnaient presque jamais à manger — un peu de groux, de temps en temps. C’était de la canaille, des gens qui avaient tant d’instruction !

Podêr me racontait cela en m’enseignant à jouer au foutreau, un jeu terrible qu’il avait appris je ne sais où. M. Foutreau dirige le jeu par l’intermédiaire d’un mouchoir avec un gros nœud. Quand on insulte le Roi-Major, ou d’autres vénérables en cartes, le mandataire