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larmes amères ; mais le matin, au saut du lit, les gens des républicains vinrent m’emmener. Sans doute la cruelle fille m’avait trahi. Je ne le sus jamais. J’ai raconté ailleurs comment j’échappai par miracle, comment je réussis à franchir la frontière et à rejoindre mes parents à Dresde. La Providence ne fut pas étrangère à ma destinée, mais elle punit bien sévèrement la traîtresse Fanchon.

Voici comment j’appris son sort. L’an VIII de la nouvelle ère, on exécuta à Chartres d’affreux brigands qui couraient la campagne. Parmi les juges se trouvait un de nos amis qui nous vint voir en Allemagne. Il me dit qu’il avait été fort remué par une belle fille qui vivait avec ces gens et se nommait Fanchon. Elle avait aidé à dénoncer ses complices ; le lieutenant Vasseur s’en était épris. Mais elle n’avait eu que l’intention de faire saisir un grand homme maigre, au nez en bec d’aigle, qui avait été soldat. Cet homme paraissait avoir été son ennemi ou son amant : car elle exhalait les fureurs d’une femme jalouse. Sitôt ce « chauffeur » arrêté, cette étrange Fanchon disparut.

« Et l’homme au nez en bec d’aigle ? — demandai-je à mon ami.

— Lui ? il alla jouer à la boule sur la grand’place de Chartres. »

Tel est le nom que ces brigands donnaient à laguillotinade.