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des pilotis. Ceux-ci étaient trapus, pesants, avec d’énormes muscles noueux entre lesquels courraient des sillons le long de leurs bras et de leurs jambes. Ils avaient des cheveux noirs et huileux qui leur pendaient jusqu’aux épaules en mèches droites et dures ; leurs têtes étaient grosses, larges, avec un front plat aux tempes distendues et des bajoues puissantes ; tandis que leurs yeux étaient petits, enfoncés, méchants. L’étrangère avait les membres longs et le port gracieux, une toison de cheveux blonds et des yeux clairs d’une fraîcheur provocante. Au lieu que les gens des pilotis restaient presque muets, murmurant parfois une syllabe, mais observant tout avec persistance et le regard mobile, l’étrangère bavardait sans cesse dans une langue incompréhensible, souriait, gesticulait, caressait les objets et les mains des autres, les tâtait, les tapait, les repoussait facétieusement et montrait surtout une curiosité insatiable. Elle avait le rire large et ouvert ; les pêcheurs n’avaient qu’un ricanement sec. Mais ils regardaient avidement le panier de la vendeuse blonde.

Elle le poussa au centre, et, un copeau de résine allumé, elle présenta les objets à la lueur rouge. C’étaient des bâtons d’ambre travaillé, merveilleusement transparent, comme de l’or jaune translucide. Elle avait des boules où circulaient des veines de lait, des grains taillés à facettes, des colliers de bâtonnets et de billes, des bracelets d’une pièce, larges, où le bras pouvait entrer jusqu’au-dessous de l’épaule,