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vit une hutte de branches et de boue, la plus misérable œuvre de la main humaine, qui se dressait près d’un étang sombre. Il y avait dans l’entrée un homme de couleur, ancien, à la barbe sale, à l’œil sanglant ; tout son corps était couvert de vase et d’herbes aquatiques ; son aspect était repoussant et impur.

« Qu’as-tu ? » demanda le pauvre roi, qui se traînait sur les mains et sur les genoux.

Il s’assit contre la hutte, étendit ses jambes gonflées comme des outres et reposa sa tête énorme contre le mur terreux.

« Je suis un Dom, répondit l’être impur ; je suis de la caste inférieure ; je jette les morts qu’on m’apporte dans cet étang : les cadavres d’hommes paient une roupie ; les corps d’enfants, huit annas ; quand les gens sont trop pauvres, ils me donnent un morceau d’étoffe.

— Soit, dit le Rajah, je me vends à toi, vénérable Dom.

— Tu ne vaux pas grand’chose, répondit le noyeur, mais je t’achète pour une once d’or que voici. Tu pourras me servir, si je m’absente. Mets-toi là : si tes jambes sont malades, enduis-les de boue ; si ta tête enfle, couvre-la des feuilles qui poussent dans l’eau et tu seras rafraîchi. Je suis très misérable, comme tu vois ; je t’ai donné la dernière once d’or que je possède, afin de te garder comme compagnon ; car la solitude est horrible et les claquements de mâchoire des crocodiles me réveillent la nuit. »