Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/165

Cette page n’a pas encore été corrigée

C’était vraiment là un roi philosophe, qui faisait de la philosophie sans le savoir ; et ce qui montre bien qu’il était sage sans avoir appris la sagesse, c’est le cas très merveilleux où il pensa se perdre, et son peuple avec lui, pour avoir voulu s’instruire dans les saines maximes.

Il advint qu’une année, vers la fin du carême, ce bon roi fit venir son maître d’hôtel, qui avait nom Fripesaulcetus ou quelque chose d’approchant, afin de le consulter sur une grave question. Il s’agissait de savoir ce que Sa Majesté mangerait le dimanche de Pâques.

« Sire, dit le ministre de l’intérieur du monarque, vous ne pouvez faire autrement que de manger des œufs. »

Or les évêques de ce temps-là avaient meilleur estomac que ceux d’aujourd’hui, en sorte que le carême était fort sévère dans tous les diocèses du royaume. Le bon roi n’avait donc guère mangé que des œufs pendant quarante jours. Il fit la moue et dit : « J’aimerais mieux autre chose. »

— Mais, sire, dit le cuisinier, qui était bachelier ès lettres, les œufs sont un manger divin. Savez-vous bien qu’un œuf contient la substance d’une vie tout entière ? Les Latins croyaient même que c’était le résumé du monde. Ils ne remontaient jamais au déluge — mais ils parlaient de reprendre les choses à l’œuf, ab ovo. Les Grecs disaient que l’univers naquit d’un œuf pondu par la Nuit aux ailes noires ;