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bâtons minces qui avaient été des cuisses et des jambes. Il lui pendait des lambeaux le long des mollets. Et il était poursuivi par la crainte du diabète et de la mort. L’homme maigre lui représentait le danger, plus cruel de jour en jour, et qu’il fallait penser à son âme. Et le pauvre homme gras soignait son diabète et son âme.

Mais il pleurait sur sa joie passée, sur sa nièce Marie qui avait maintenant une figure de cire et de petits os menus. Un jour qu’il présentait au feu les misérables tiges tremblotantes qui avaient été ses doigts, affaissé sur une chaise de bois dur, un petit livre relié de cuir sur ses genoux pointus, Marie lui passa la main sur le bras et murmura à son oreille : « Mon oncle, voyez donc votre ami : il engraisse ! »

Au milieu de cette désolation, l’homme maigre se remplissait graduellement. Sa peau se gonflait et devenait rosée. Ses doigts commençaient à tourner. Et son air de douce satisfaction allait toujours croissant.

Alors l’homme qui avait été gras souleva piteusement la nappe de peau qui pendait sur ses genoux, — et la laissa retomber.