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cependant que le feu ronflait sous la tôle. Puis, ouvrant la petite porte de la fournaise, il laissait entrer la lumière rouge qui s’épandait sur sa chair. Ainsi, dans le crépuscule, il avait l’air d’une énorme lanterne dont sa figure était la vitre, éclairée par le sang et la braise.

Et dans la cuisine, l’homme gras avait une nièce potelée, blanche et rose, qui brassait les légumes avec ses manches relevées, une nièce souriante, pleine de fossettes, dont les petits yeux sautaient à force de bonne humeur, une nièce qui lui tapait sur les doigts quand il les trempait dans le plat, qui lui envoyait les crêpes chaudes sur la figure quand il voulait retourner la poêle, et qui lui faisait mille bonnes petites choses sucrées, dorées, mijotées à point, avec des croûtons réjouissants.

Sous la grande table de bois blanc dormait un chat, panse pleine, dont la queue était grasse comme celle d’un mouton d’Asie, et le caniche, appuyé contre la briquetterie du fourneau, clignait des yeux à la chaleur, laissant pendre les gros plis de sa peau tondue.

Dans sa chambre, l’homme gras regardait voluptueusement un gobelet de verre, où il venait de verser doucement du vin de Constance 1811, quand la porte de la rue tourna sans bruit. Et l’homme gras fut si surpris qu’il ouvrit la bouche et resta immobile, la lèvre inférieure baissée. Il y avait devant lui un homme maigre, noir, long, dont le nez était mince