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assise, polie sur les bords ; les vieux fauteuils avec leur dos ovale, leur siège renflé et leurs gros clous sphériques ; les tabourets accroupis par terre comme des crapauds gras, et les tapis lourds, à longue laine emmêlée. La pendule s’épatait sur la cheminée ; les trous de clef s’ouvraient comme des yeux dans son cadran convexe ; le verre qui l’emboîtait se gonflait comme le hublot du casque d’un scaphandre ; les flambeaux paraissaient les branches d’un arbre en cuivre noueux, et les chandelles y pleuraient du suif. Le lit s’enflait comme un ventre rembourré ; les bûches qui brûlaient dans le feu faisaient craquer leur écorce, dodues et pétillantes ; les carafons du buffet étaient trapus, les verres avaient des bosses ; les bouteilles, un nœud puissant au goulot, à demi-pleines de vin, étaient encastrées dans leurs cercles de feutre comme des bombes vermeilles de verre. Et par-dessus tout il y avait dans cette grosse chambre ventrue, joyeuse et chaude, un homme gras, riant largement, ouvrant une bouche aux lippes saines, fumant et buvant.

La porte en ogive, fermée à bon bouton, qui emplissait bien la main, donnait sur la cuisine, où cet homme passait le meilleur temps de sa vie. Car il rôdait dès le matin parmi les casseroles, trempant du pain dans les sauces, torchant les lèche-frites avec un bout de mie, humant des bols pleins de bouillon ; et il plongeait dans les marmites une cuiller en bois qui dégouttait, pour comparer ses ragoûts,