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Lilith ne vécut pas longtemps, n’étant guère née pour cette terre ; et comme ils savaient tous deux qu’elle devait mourir, elle le consola du mieux qu’elle put.

« Mon aimé, lui dit-elle, des barrières d’or du ciel je me pencherai vers toi ; j’aurai trois lys à la main, sept étoiles aux cheveux. Je te verrai du pont divin qui est tendu sur l’éther ; et tu viendras vers moi et nous irons dans les puits insondables de lumière. Et nous demanderons à Dieu de vivre éternellement comme nous nous sommes aimés un moment ici-bas. »

Il la vit mourir, tandis qu’elle disait ces mots et il en fit aussitôt un poème magnifique, le plus beau joyau dont on eût jamais paré une morte. Il pensa qu’elle l’avait quitté déjà depuis dix ans ; et il la voyait, penchée sur les barrières d’or du ciel, jusqu’à ce que la barre fût devenue tiède à la pression de son sein, jusqu’à ce que les lys se fussent assoupis dans ses bras. Elle lui murmurait les mêmes paroles ; puis elle écoutait longtemps et souriait : « Tout cela sera quand il viendra, » disait-elle. Et il la voyait sourire ; puis elle tendait ses bras le long des barrières, et elle plongeait sa figure dans ses mains, et elle pleurait. Il entendait ses pleurs.

Ce fut la dernière poésie qu’il écrivit dans le livre de Lilith. Il le ferma — pour jamais — avec des fermoirs d’or, et, brisant sa plume, il jura qu’il n’avait été poète que pour elle, et que Lilith emporterait sa gloire dans sa tombe.