Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/105

Cette page n’a pas encore été corrigée

Mais je ne puis plus sangloter, car l’affreuse terreur me serre la gorge quand j’entends mes sanglots ; que Dieu me retire la conscience avant le son de mon râle qui va venir ! Mes doigts faiblissent ; il est temps d’écrire ; j’ai lu assez longtemps le dialogue de Phédon, — mes pensées ne s’unissent plus qu’avec peine, et j’ai hâte de faire ma confession muette : l’air de la terre n’entendra plus ma voix.

Une tendre amitié m’avait dès longtemps rapproché de Béatrice. Toute petite, elle venait dans la maison de mon père, grave déjà, avec des yeux profonds, étrangement mouchetés de jaune. Sa figure était légèrement anguleuse, les méplats accusés, et la peau d’un blanc mat comme un marbre auquel un praticien n’aurait jamais touché, mais où le statuaire lui-même a mis la forte écriture de son ciseau. Les lignes couraient sur des arêtes vives, jamais adoucies par le trois-quarts ; et quand une émotion rougissait son visage, on eût dit d’une figure d’albâtre intérieurement éclairée par une lampe rose.

Elle était gracieuse, assurément, mais d’une souplesse dure, car la marque de son geste était si nette qu’elle restait fixée dans les yeux ; quand elle tordait ses cheveux sur son front, la symétrie parfaite de ses mouvements paraissait l’attitude votive d’une déesse immobile, bien différente de la fuite rapide des bras de jeunes filles, qui semble un battement d’ailes à peine soulevées. Pour moi, que l’étude des choses grecques plongeait dans la contemplation