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L’une d’elles était l’assassinat. Mais je ne le concevais plus comme une œuvre pleine de terreur, accomplie par Jud, comme l’issue d’une épouvante sans nom. Je l’éprouvais possible, avec quelque lueur de curiosité et un anéantissement infini de tout ce qui avait jamais été ma volonté.

Alors l’homme voilé se leva, et, me regardant fixement sous son voile couleur de chair humaine, il se dirigea à pas glissants vers le voyageur endormi. D’une main il lui saisit la nuque, fermement, et lui fourra en même temps dans la bouche un tampon de soie. Je n’eus pas d’angoisse, ni le désir d’un cri. Mais j’étais auprès et je regardais d’un œil morne. L’homme voilé tira un couteau du Turkestan mince, effilé, dont la lame évidée avait une rigole centrale, et coupa la gorge au voyageur comme on saigne un mouton. Le sang gicla jusqu’au filet. Il avait enfoncé son couteau du côté gauche, en le ramenant vers lui d’un coup sec. La gorge était béante : il découvrit la lampe, et je vis le trou rouge. Puis il vida les poches et plongea ses mains dans la mare sanglante. Il vint vers moi, et je supportai sans révolte qu’il barbouillât mes doigts inertes et ma figure, où pas un pli ne bougeait.

L’homme voilé roula sa couverture, jeta autour de lui son manteau, tandis que je restais près du voyageur assassiné. Ce mot terrible ne m’impressionnait pas — lorsque soudain je me sentis manquer d’appui, sans volonté pour suppléer la mienne, vide