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assoupie, évanouie. C’est là cette affirmation et cette négation de la volonté de vivre, qui, ne considérant pas les détails de la conduite de l’individu, mais bien celle de l’individu en général, ne vient point modifier, troubler le caractère dans son développement, ne s’exprime point en des actes particuliers ; au contraire, c’est par un redoublement d’activité dans la direction déjà suivie par l’individu, ou, tout au rebours, par la suppression de cette activité, qu’elle exprime la maxime désormais adoptée par la volonté, plus éclairée et libre par conséquent dans son choix. — Voilà ce qu’il s’agit d’expliquer, d’éclaircir dans le présent livre ; sans doute les études où nous venons d’être entraînés, sur la liberté, la nécessité et le caractère, nous ont préparé et facilité la tâche. Mais nous aurons fait plus encore dans ce même sens, en retardant encore cette question, pour considérer la vie elle-même, cette vie dont il s’agit de vouloir ou de ne pas vouloir ; car c’est là le grand problème : et nous rechercherons ce qu’il adviendra de la volonté elle-même, de ce principe intime de toute vie, si elle affirme vouloir vivre, jusqu’à quel point et de quelle façon alors elle sera satisfaite ; bref, nous verrons quel est, en général, et au fond des choses, sa vraie situation dans ce monde qui est bien à elle, et qui à tous égards lui appartient.

Je demande au lecteur, d’abord, de bien se remettre en mémoire les idées par où nous avons clos le second livre, le point où nous nous étions trouvés conduits en cherchant la fin, le but de la volonté ; en réponse à cette question, nous avions vu apparaître une théorie : comment la volonté, à tous les degrés de sa manifestation, du bas jusqu’en haut, manque totalement d’une fin dernière, désire toujours, le désir étant tout son être ; désir que ne termine aucun objet atteint, incapable d’une satisfaction dernière, et qui pour s’arrêter a besoin d’un obstacle, lancé qu’il est par lui-même dans l’infini. C’est ce que nous avons vérifié dans les phénomènes les plus simples de la nature : dans la pesanteur, effort interminable, et qui tend vers un point central, sans étendue, qu’il ne pourrait atteindre sans s’anéantir et la matière avec : et toutefois il y tend et y tendrait encore, quand l’univers serait tout entier concentré en une masse unique. De même encore pour les autres faits élémentaires : tout corps solide, soit par la fusion, soit par la décomposition, tend à l’état liquide, le seul où toutes ses forces chimiques soient en liberté : la congélation est comme un emprisonnement, où elles sont réduites par le froid. Le liquide, lui, tend à l’état gazeux, où il passe dès qu’il cesse d’être contraint par quelque pression. Pas de corps qui n’ait une affinité, c’est-à-dire une tendance, et, comme dirait Jacob Bœhm, un désir, une passion. L’électricité, jusqu’à l’infini, continue à se diviser en deux fluides,