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exemple, qu’elle s’imagine comprendre absolument, et après cela, si elle s’efforce d’y ramener toutes les autres, — elle détruit son propre fondement et ne peut arriver qu’à l’erreur ; le contenu de la nature est dès lors supplanté par la forme, et l’on attribue tout à l’influence des circonstances, rien à l’essence intime des choses. Si l’on pouvait réussir en suivant cette méthode, il suffirait d’un calcul rigoureux pour résoudre l’énigme du monde. — Mais on entre dans cette voie dès qu’on veut ramener toute action physiologique « à la forme et au mélange », et ainsi à l’électricité, puis celle-ci au chimisme, et le chimisme au mécanisme. Cette dernière réduction a été la grande faute de Descartes et des atomistes, qui ramenaient ; le mouvement des corps au choc d’un fluide, et leurs qualités à l’agencement et à la forme des atomes, et qui, après cela, s’ingéniaient à expliquer tous les phénomènes de la nature comme de simples phénomènes de l’impénétrabilité et de la cohésion. Bien qu’on en soit revenu, certaines gens, de nos jours, ne procèdent pas autrement ; ce sont les physiologues-électriciens, chimistes, mécaniciens, qui veulent expliquer absolument toute la vie et toutes les fonctions de l’organisme par « la forme et le mélange » des parties essentielles.

Que le but de l’explication physiologique consiste à ramener la vie de l’organisme aux lois générales qu’étudie la physique, c’est ce que l’on trouve exprimé dans les Archives physiologiques de Meckel. De même, Lamarck, dans sa Philosophie zoologique (vol. II, ch. iii, p. 16), considère la vie comme la simple résultante de la chaleur et de l’électricité : « Le calorique et la matière électrique suffisent parfaitement pour composer ensemble cette cause essentielle de la vie. » D’après cela, la chaleur et l’électricité seraient proprement la chose en soi, et le monde des animaux et des plantes en serait le phénomène. On peut voir, à la page 306 et suivantes de l’ouvrage cité, toute l’absurdité de cette théorie. Tout le monde sait que dernièrement toutes ces théories si souvent tournées en ridicule se sont effrontément renouvelées. Quand on les examine attentivement, on voit qu’elles reposent toutes sur l’hypothèse que l’organisme n’est qu’un agrégat de phénomènes physiques, de forces chimiques et mécaniques, qui par hasard convergeant toutes vers le même point, constituent l’organisme, — lequel n’est plus qu’un jeu de la nature dépourvu de sens. L’organisme d’un animal ou d’un homme ne serait plus alors, — considéré philosophiquement, — la représentation d’une idée particulière, c’est-à-dire ï’objectité immédiate de la volonté, à un degré plus ou moins élevé de détermination ; mais il n’y aurait plus en lui que ces idées qui objectivent la volonté dans l’électricité, le chimisme, le mécanisme ; celui-ci serait donc composé par la rencontre de ces forces, tout aussi acci-