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L’OBJECTIVATION DE LA VOLONTÉ. 145

primitives, qu’on ne saurait ramener les unes aux autres, ne brisent pas l’unité de la chaîne des causes et l’enchaînement de ses anneaux. L’étiologie de la nature et la philosophie de la nature ne se nuisent jamais l’une à l’autre ; elles vont l’une à côté de l’autre, étudiant le même objet à des points de vue différents. L’étiologie rend compte des causes qui ont nécessairement amené le phénomène isolé qu’il s’agit d’expliquer. Elle montre comme fondement de tous ces phénomènes les forces générales qui agissent dans toutes ces causes et effets ; elle détermine ces forces, leur nombre, leur différence, et tous les effets dans lesquels ces forces, au gré de la diversité des circonstances, se manifestent avec diversité, toujours fidèles cependant à leur caractère particulier, qu’elles développent suivant une règle infaillible appelée loi de la nature. Quand la physique aura entièrement accompli cette œuvre et à ce point de vue, elle aura atteint sa perfection. Car il n’y aura plus dans le monde inorganique de force inconnue, plus d’effet qui n’apparaisse comme le phénomène d’une de ces forces qui s’est manifestée en de certaines circonstances conformément à une loi de la nature. Cependant une loi de la nature n’est jamais qu’une règle surprise à la nature, — règle suivant laquelle celle-ci procède toujours, dans certaines circonstances déterminées, dès qu’elles sont données. C’est pourquoi on peut définir une loi de la nature « un fait généralisé » ; d’où l’on voit qu’un exposé exact de toutes les lois de la nature ne serait qu’un catalogue de faits très complet.

L’observation de la nature dans son ensemble a son achèvement dans la morphologie, qui dénombre toutes les formes fixes de la nature organique, qui les compare et les coordonne. Elle a peu de chose à dire sur la cause de la production des êtres particuliers ; elle s’explique par la génération, qui est la même pour tous, et qui forme une théorie à part ; dans certains cas très rares, la cause est la generatio æquivoca. A cette dernière catégorie appartient aussi, à la rigueur, la façon dont les degrés inférieurs de l’objectité de la volonté, c’est-à-dire les phénomènes physiques et chimiques, se produisant, et l’exposé des conditions de cette production est aussi la tâche de l’étiologie. La philosophie considère en tout, par conséquent aussi dans la nature, uniquement le général : les forces primitives ici constituent son objet, et elle reconnaît en elles les différents degrés de l’objectivation de la volonté, qui est l’essence intime, la substance du monde, — lequel n’est à ses yeux, quand elle s’abstrait de la substance, que la représentation du sujet. Si maintenant l’étiologie, au lieu de préparer les voies à la philosophie et de confirmer ses théories par des preuves expérimentales, s’imagine plutôt que son but est de nier toutes les forces premières, sauf une seule, la plus générale, l’impénétrabilité parSCHOPENHAUER. Le Monde. I-10.