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science naturelle, sauf en ce qu’elle a de pur (ce que Kant appelle le côté métaphysique).

Dans les sciences naturelles, on reconnaît également les causes par les effets ; aussi reposent-elles toutes sur des hypothèses, qui se montrent souvent fausses et font place successivement à des hypothèses plus justes. Ce n’est que lorsqu’on institue intentionnellement des expériences, que l’on apprend à connaître l’effet par la cause : c’est là la vraie voie ; mais les expériences elles-mêmes ne sont que la suite des hypothèses. Cela nous explique pourquoi aucune branche des sciences naturelles, ni physique, ni astronomie, ni physiologie, n’a pu être découverte d’un seul coup, comme les mathématiques ou la logique, et pourquoi il a fallu et il faut encore les expériences réunies et comparées de bien des siècles pour en assurer le progrès. Ce n’est qu’une confirmation expérimentale multipliée qui peut donner à l’induction sur laquelle repose l’hypothèse une perfection telle qu’elle puisse, pour la pratique, tenir lieu de certitude et enlever peu à peu à l’hypothèse ses chances originelles d’erreur ; c’est exactement ce qui arrive, en géométrie, pour l’incommensurabilité entre une courbe et une droite, ou, en arithmétique, pour le logarithme, qu’on n’obtient jamais qu’avec une certitude approchée ; car de même qu’au moyen d’une fraction infinie on peut pousser la quadrature du cercle et la recherche du logarithme aussi près qu’on voudra de l’exactitude absolue, de même de nombreuses expériences peuvent rapprocher l’induction, ou connaissance de la cause par l’effet, de l’évidence mathématique, ou connaissance de l’effet par sa cause ; et ce rapprochement peut être poussé, sinon à l’infini, du moins assez loin pour que la chance d’erreur devienne négligeable. Elle existe cependant, par exemple quand nous concluons d’un grand nombre de cas à la totalité des cas, c’est-à-dire à la cause inconnue dont cette totalité dépend. Quelle conclusion de ce genre peut nous sembler plus sûre que celle-ci : « tous les hommes ont le cœur à gauche » ? Il y a cependant des cas isolés, extrêmement rares sans doute, où l’on constate que le cœur est à droite. — Ainsi l’intuition sensible et les sciences expérimentales participent au même genre d’évidence. La supériorité qu’ont les mathématiques, la science naturelle pure et la logique, comme connaissance a priori, repose uniquement sur ce fait que la partie formelle des connaissances sur laquelle se fonde toute apriorité est donnée tout entière en une fois, et que, par conséquent, c’est là seulement qu’on peut aller de la cause à l’effet, tandis qu’ailleurs on remonte la plupart du temps de l’effet à la cause. Du reste, le principe de causalité ou principe de raison du devenir, qui règle la connaissance empirique, est en lui-même aussi sûr que toutes les autres formes du principe de raison, auxquelles