Page:Schopenhauer - De la quadruple racine, 1882, trad. Cantacuzène.djvu/38

Cette page a été validée par deux contributeurs.
21
SPINOZA

habitués à prendre des mots pour des idées, se répandent en pieuses louanges et prennent des airs hautains à l’occasion de cette causa sui, je n’y vois pour ma part qu’une contradictio in adjecto, un conséquent pris pour un antécédent, un arrêt audacieusement arbitraire, à l’effet de rompre la chaîne infinie de la causalité : elle est analogue, selon moi, au cas de cet Autrichien qui, ne pouvant atteindre, pour la serrer, jusqu’à l’agrafe de son shako qu’il portait fortement bouclé sur sa tête, grimpa sur une chaise. Le véritable emblème de la causa sui serait représenté par le baron Münchhausen[1] embrassant de ses jambes son cheval, qui est sur le point de se laisser couler au fond de l’eau, et s’enlevant en l’air ainsi que sa bête, au moyen de la tresse de sa queue ramenée sur le devant de la tête ; au-dessous, il y aurait écrit : causa sui.

Pour finir, jetons encore les yeux sur la proposition 16 du premier livre de la Morale, où de ce que « ex data cujuscunque rei definitione plures proprietates intellectus concludit, quæ revera ex eadem necessario sequuntur,  » il déduit : « ex necessitate divinæ naturæ (c’est-à-dire prise au réel) infinita infinitis modis sequi debent ; » incontestablement donc, ce Dieu est au monde dans le rapport d’une notion à sa définition. Néanmoins il y joint immédiatement après le corollaire suivant : « Deus omnium rerum esse causam efficientem. » La confusion entre le principe de connaissance et la cause ne saurait être poussée plus loin, ni produire de plus graves conséquences qu’ici. — Mais tout

  1. En Allemagne, le type légendaire du hâbleur. (Note du trad.)