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ce qu’on est seulement aux yeux d’autrui, contribuera beaucoup à notre bonheur. Le premier terme de la comparaison comprend tout ce qui remplit le temps de notre propre existence, le contenu intime de celle-ci et, partant, tous les biens que nous avons examinés dans les chapitres intitulés De ce que l’on est et De ce que l’on a. Car le lieu où se trouve la sphère d’action de tout cela, c’est la propre conscience de l’homme. Au contraire, le lieu de tout ce que nous sommes pour les autres, c’est la conscience d’autrui ; c’est la figure sous laquelle nous y apparaissons, ainsi que les notions qui s’y réfèrent[1]. Or ce sont là des choses qui, directement, n’existent pas du tout pour nous ; tout cela n’existe qu’indirectement, c’est-à-dire qu’autant qu’il détermine la conduite des autres envers nous. Et ceci même n’entre réellement en considération qu’autant que cela influe sur ce qui pourrait modifier ce que nous sommes en et par nous-mêmes. À part cela, ce qui se passe dans une conscience étrangère nous est, à ce titre, parfaitement indifférent, et, à notre tour, nous y deviendrons indifférent à mesure que nous connaîtrons suffisamment la superficialité et la futilité des pensées, les bornes étroites des notions, la petitesse des sentiments, l’absurdité des opinions et le nombre considérable d’erreurs que l’on rencontre dans la plupart des cervelles ; à mesure aussi que nous apprendrons par expé-

  1. Les classes les plus élevées, dans leur éclat, leur splendeur et leur faste, dans leur magnificence et leur ostentation de toute nature, peuvent se dire : Notre bonheur est placé entièrement en dehors de nous ; son lieu, ce sont les têtes des autres. (Note de Schopenhauer.)