Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/80

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souvent d’un malheur réel ou de la parcimonie avec laquelle coulent pour lui les deux sources principales de bonheur dont nous avons traité jusqu’ici. Réciproquement, il est étonnant de voir combien il est infailliblement chagriné, et bien des fois douloureusement affecté par toute lésion de son ambition, en quelque sens, à quelque degré ou sous quelque rapport que ce soit, par tout dédain, par toute négligence, par le moindre manque d’égards. En tant que servant de base au sentiment de l’honneur, cette propriété peut avoir une influence salutaire sur la bonne conduite de beaucoup de gens, en guise de succédané de leur moralité ; mais quant à son action sur le bonheur réel de l’homme et surtout sur le repos de l’âme et sur l’indépendance, ces deux conditions si nécessaires au bonheur, elle est plutôt perturbatrice et nuisible que favorable. C’est pourquoi, à notre point de vue, il est prudent de lui poser des limites et, par de sages réflexions et une juste appréciation de la valeur des biens, de modérer cette grande susceptibilité à l’égard de l’opinion d’autrui, aussi bien pour le cas où on la caresse que pour celui où on la froisse, car les deux tiennent au même fil. Autrement, nous restons esclaves de l’opinion et du sentiment des autres :

Sic leve, sic parvum est, animum quod laudis avarum
Subruit ac reficit.

(Tellement ce qui abat ou réconforte une âme avide de louange peut être frivole et petit.)

Par conséquent, une juste appréciation de la valeur de ce que l’on est en soi-même et par soi-même, comparée à