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gaspiller ; il se dit que, lorsqu’elle aura disparu de nouveau, il saura se tirer d’affaire sans elle tout comme auparavant, et que, de plus, il sera délivré d’un souci. C’est le cas de dire avec Shakespeare :

The adage must be verified,
That beggars mounted run their horse to death.
______________(Henry VI, P. 3, A. 1.)

(Il faut que le proverbe se vérifie : Le mendiant à cheval fait galoper sa bête à mort.)

Ajoutons encore que ces gens-là possèdent non pas tant dans leur tête que dans le cœur une ferme et excessive confiance d’une part dans leur chance et d’autre part dans leurs propres ressources, qui les ont déjà aidés à se tirer du besoin et de l’indigence ; ils ne considèrent pas la misère, ainsi que le font les riches de naissance, comme un abîme sans fond, mais comme un bas-fond qu’il leur suffit de frapper du pied pour remonter à la surface. C’est par cette même particularité humaine qu’on peut expliquer comment des femmes, pauvres avant leur mariage, sont très souvent plus exigeantes et plus dépensières que celles qui ont fourni une grosse dot ; en effet, la plupart du temps, les filles riches n’apportent pas seulement de la fortune, mais aussi plus de zèle, pour ainsi dire plus d’instinct héréditaire à la conserver que les pauvres. Toutefois ceux qui voudraient soutenir la thèse contraire trouveront une autorité dans la première satire de l’Arioste ; en revanche, le docteur Johnson se range à mon avis : « A woman of fortune being used to the handling of money, spends it judiciously : but