Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intellectuelles qu’il leur demande ; bien au contraire, quand il les rencontre, elles excitent son antipathie, voire même sa haine, car il n’éprouve en leur présence qu’un sentiment importun d’infériorité et une envie sourde, secrète, qu’il cache avec le plus grand soin, qu’il cherche à se dissimuler à lui-même, mais qui par là justement grandit parfois jusqu’à une rage muette. Ce n’est pas sur les facultés de l’esprit qu’il songe jamais à mesurer son estime ou sa considération ; il les réserve exclusivement au rang et à la richesse, au pouvoir et à l’influence, qui passent à ses yeux pour les seules qualités vraies, les seules où il aspirerait à exceller. Tout cela dérive de ce que le philistin est un homme privé de besoins intellectuels. Son extrême souffrance vient de ce que les idéalités ne lui apportent aucune récréation et que, pour échapper à l’ennui, il doit toujours recourir aux réalités. Or celles-ci, d’une part, sont bientôt épuisées, et alors, au lieu de divertir, elles fatiguent ; d’autre part, elles entraînent après elles des désastres de toute espèce, tandis que les idéalités sont inépuisables et, en elles-mêmes, innocentes.

Dans toute cette dissertation sur les conditions personnelles qui contribuent à notre bonheur, j’ai eu en vue les qualités physiques et principalement les qualités intellectuelles. C’est dans mon Mémoire sur le fondement de la morale (§ 22) que j’ai exposé comment la perfection morale, à son tour, influe directement sur le bonheur : c’est à cet ouvrage que je renvoie le lecteur[1].

  1. Le fondement de la morale, traduit par M. Burdeau, in 18 (Bibliothèque de philosophie contemporaine).