Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/54

Cette page a été validée par deux contributeurs.

intentionnellement la volonté, et cela par des intérêts tellement minimes qu’ils ne peuvent occasionner que des douleurs momentanées et légères, non pas de ces douleurs permanentes et sérieuses ; tellement qu’on peut les considérer comme de simples chatouillements de la volonté. L’homme doué des forces intellectuelles prédominantes, au contraire, est capable de s’intéresser vivement aux choses par la voie de l’intelligence pure, sans immixtion aucune du vouloir ; il en éprouve le besoin même. Cet intérêt le transporte alors dans une région à laquelle la douleur est essentiellement étrangère, pour ainsi dire, dans l’atmosphère des dieux à la vie facile, θεων ρεια ξωοντων. Pendant qu’ainsi l’existence du reste des hommes s’écoule dans l’engourdissement, et que leurs rêves et leurs aspirations sont dirigés vers les intérêts mesquins du bien-être personnel avec leurs misères de toute sorte ; pendant qu’un ennui insupportable les saisit dès qu’ils ne sont plus occupés à poursuivre ces projets et qu’ils restent

    en arrivent à un tel degré que l’entendement n’apparaît que pour le service de la volonté : quand ce service ne réclame pas d’intelligence, quand il n’existe de motifs ni petits ni grands, l’entendement cesse complètement et il survient une vacuité absolue de pensées. Or le vouloir dépourvu d’entendement est ce qu’il y a de plus bas ; toute souche le possède et le manifeste quand ce ne serait que lorsqu’elle tombe. C’est donc cet état qui constitue la vulgarité. Ici, les organes des sens et la minime activité intellectuelle, nécessaires à l’appréhension de leurs données, restent seuls en action ; il en résulte que l’homme vulgaire reste toujours ouvert à toutes les impressions et perçoit instantanément tout ce qui se passe autour de lui, au point que le son le plus léger, toute circonstance quelque insignifiante qu’elle soit, éveille aussitôt son attention, tout comme chez les animaux. Tout cela devient apparent sur son visage et dans tout son extérieur, et c’est de là que vient l’apparence vulgaire, apparence dont l’impression est d’autant plus repoussante que, comme c’est le cas le plus fréquent, la volonté, qui occupe à elle seule alors la conscience, est basse, égoïste et méchante. (Note de Schopenhauer.)