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besoin, donc contre la douleur, et par contre la classe riche et élevée dans une lutte permanente, souvent désespérée, contre l’ennui.

Intérieurement, ou subjectivement, l’antagonisme se fonde sur ce que dans tout individu la facilité à être impressionné par l’un de ces maux est en rapport inverse avec celle d’être impressionné par l’autre ; car cette susceptibilité est déterminée par la mesure des forces intellectuelles. En effet, un esprit obtus est toujours accompagné d’impressions obtuses et d’un manque d’irritabilité, ce qui rend l’individu peu accessible aux douleurs et aux chagrins de toute espèce et de tout degré ; mais cette même qualité obtuse de l’intelligence produit, d’autre part, ce vide intérieur qui se peint sur tant de visages et qui se trahit par une attention toujours en éveil sur tous les événements, même les plus insignifiants, du monde extérieur ; c’est ce vide qui est la véritable source de l’ennui et celui qui en souffre aspire avec avidité à des excitations extérieures, afin de parvenir à mettre en mouvement son esprit et son cœur par n’importe quel moyen. Aussi n’est-il pas difficile dans le choix des moyens ; on le voit assez à la piteuse mesquinerie des distractions auxquelles se livrent les hommes, au genre de sociétés et de conversations qu’ils recherchent, non moins qu’au grand nombre de flâneurs et de badauds qui courent le monde. C’est principalement ce vide intérieur qui les pousse à la poursuite de toute espèce de réunions, de divertissements, de plaisirs et de luxe, poursuite qui conduit tant de gens à la dissipation et finalement à la misère.