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sur nous les mêmes circonstances extérieures ou les mêmes événements pendant les jours de santé et de vigueur, avec celle qui est produite lorsqu’un état de maladie nous dispose à être maussade et inquiet. Ce n’est pas ce que sont objectivement et en réalité les choses, c’est ce qu’elles sont pour nous, dans notre perception, qui nous rend heureux ou malheureux. C’est ce qu’énonce bien cette sentence d’Épictète : « Ταρατσει τους ανθωπους ου τα πραγματα, αλλα τα περι των πραγματων δογματα. (Ce qui émeut les hommes, ce ne sont pas les choses, mais l’opinion sur les choses). » En thèse générale, les neuf dixièmes de notre bonheur reposent exclusivement sur la santé. Avec elle, tout devient source de plaisir ; sans elle, au contraire, nous ne saurions goûter un bien extérieur, de quelque nature qu’il soit ; même les autres biens subjectifs, tels que les qualités de l’intelligence, du cœur, du caractère, sont amoindris et gâtés par l’état de maladie. Aussi n’est-ce pas sans raison que nous nous informons mutuellement de l’état de notre santé et que nous nous souhaitons réciproquement de nous bien porter, car c’est bien là en réalité ce qu’il y a de plus essentiellement important pour le bonheur humain. Il s’ensuit donc qu’il est de la plus insigne folie de sacrifier sa santé à quoi que ce soit, richesse, carrière, études, gloire, et surtout à la volupté et aux jouissances fugitives. Au contraire, tout doit céder le pas à la santé.

Quelque grande que soit l’influence de la santé sur cette gaieté si essentielle à notre bonheur, néanmoins celle-ci ne dépend pas uniquement de la première, car,