Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

extérieures ; cela arrive pour quelques-uns jusque dans l’âge le plus avancé. Ce que l’homme a par soi-moi ne lui profite jamais mieux que dans la vieillesse. Mais il est vrai de dire que la plupart des individus, ayant été de tout temps obtus d’esprit, deviennent de plus en plus des automates à mesure qu’ils avancent dans la vie : ils pensent, ils disent, ils font toujours la même chose, et aucune impression extérieure ne peut changer le cours de leurs idées ou leur faire produire quelque chose de nouveau. Parler à de semblables vieillards, c’est écrire sur le sable : l’impression s’efface presque instantanément. Une vieillesse de cette nature n’est plus alors sans doute que le caput mortuum de la vie. La nature semble avoir voulu symboliser l’avènement de cette seconde enfance par une troisième dentition qui se déclare dans quelques rares cas chez des vieillards.

L’affaissement progressif de toutes les forces à mesure qu’on vieillit est certes une bien triste chose, mais nécessaire et même bienfaisante ; autrement, la mort, dont il est le prélude, deviendrait trop pénible. Aussi l’avantage principal que procure un âge très avancé est l’euthanasie[1], c’est-à-dire la mort éminemment facile, sans maladie qui la précède, sans convulsions qui l’accompagnent, une mort où l’on ne se sent pas mourir. J’en ai donné une description dans le deuxième volume de mon ouvrage, au cha-

  1. La vie humaine, à proprement parler, ne peut être dite ni longue ni courte, car, au fond, elle est l’échelle avec laquelle nous mesurons toutes les autres longueurs de temps. — L’Oupanischad du Véda (vol. 2) donne 100 ans pour la durée naturelle de la vie, et avec raison, à mon avis ; car j’ai remarqué que ceux-là seulement qui dépassent 90 ans