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a l’influence la plus décisive sur toute notre manière d’être à chaque âge de la vie. Elle fait d’abord que l’enfance, quoique n’embrassant que quinze ans à peine, est pourtant la période la plus longue de l’existence, et par conséquent aussi la plus riche en souvenirs ; ensuite elle fait que, dans tout le cours de la vie, nous sommes soumis à l’ennui dans le rapport inverse de notre âge. Les enfants ont constamment besoin de passer le temps, que ce soit par les jeux ou par le travail ; si le passe-temps s’arrête, ils sont aussitôt pris d’un formidable ennui. Les adolescents y sont encore fortement exposés et redoutent beaucoup les heures inoccupées. Dans l’âge viril, l’ennui disparaît de plus en plus : et pour les vieillards le temps est toujours trop court et les jours volent avec la rapidité de la flèche. Bien entendu, je parle d’hommes et non de brutes vieillies. L’accélération dans la marche du temps supprime donc le plus souvent l’ennui dans un âge plus avancé ; d’autre part, les passions, avec leurs tourments, commencent à se taire ; il en résulte qu’en somme, et pourvu que la santé soit en bon état, le fardeau de la vie est, en réalité, plus léger que pendant la jeunesse : aussi appelle-t-on l’intervalle qui précède l’apparition de la débilité et des infirmités de la vieillesse : les meilleures années. Peut être le sont-elles en effet au point de vue de notre agrément ; mais en revanche les années de jeunesse, où tout fait impression, où chaque chose entre dans la conscience, conservent l’avantage d’être la saison fertilisante de l’esprit, le printemps qui détermine les bourgeons. Les vérités