Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il existe deux voies pour atteindre un âge très avancé, toutefois à la condition sine qua non de posséder une constitution intacte ; pour l’expliquer, prenons l’exemple de deux lampes qui brûlent : l’une brûlera longtemps, parce que, avec peu d’huile, elle a une mèche très mince ; l’autre, parce que, avec une forte mèche, elle a aussi beaucoup d’huile : l’huile, c’est la force vitale, la mèche en est l’emploi appliqué à n’importe quel usage.

Sous le rapport de la force vitale, nous pouvons nous comparer, jusqu’à notre trente-sixième année, à ceux qui vivent des intérêts d’un capital ; ce qu’on dépense aujourd’hui se trouve remplacé demain. À partir de là, nous sommes semblables à un rentier qui commence à entamer son capital. Au début, la chose n’est pas sensible : la plus grande partie de la dépense se remplace encore d’elle-même, et le minime déficit qui en résulte passe inaperçu. Peu à peu, il grossit, il devient apparent, et son accroissement lui-même s’accroît chaque jour ; il nous envahit toujours davantage ; chaque aujourd’hui est plus pauvre que chaque hier ; et nul espoir d’arrêt. Comme la chute des corps, la perte s’accélère rapidement, jusqu’à disparition totale. Le cas le plus triste est celui où tous deux, forces vitales et fortune, celle-ci non plus comme terme de comparaison, mais en réalité, sont en voie de fondre simultanément ; aussi l’amour de la richesse augmente avec l’âge. En revanche, dans nos premières années, jusqu’à notre majorité et un peu au delà, nous sommes, sous le rapport de la force vitale, semblables à ceux qui, sur les intérêts, ajoutent encore quelque chose au capital : non