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pour que cela nous rapproche du but principal. En ce sens, les événements et nos résolutions importantes sont comparables à deux forces agissant dans des directions différentes, et dont la diagonale représente la marche de notre vie. Térence a dit : « In vita est hominum quasi cum ludas tesseris : si illud quod maxime opus est jactu, non cadit, illud, quod cecidit forte, id arte ut corrigas » (Il en est de la vie humaine comme d’une partie de dés ; si l’on n’obtient pas le dé dont on a besoin, il faut savoir tirer parti de celui que le sort a amené) ; c’est une espèce de trictrac que Térence doit avoir eu en vue dans ce passage. Nous pouvons dire en moins de mots : Le sort mêle les cartes, et nous, nous jouons. Mais, pour exprimer ce que j’entends ici, la meilleure comparaison est la suivante. Les choses se passent dans la vie comme au jeu d’échecs : nous combinons un plan ; mais celui-ci reste subordonné à ce qu’il plaira de faire, dans la partie d’échecs à l’adversaire, dans la vie au sort. Les modifications que notre plan subit à la suite sont, le plus souvent, si considérables que c’est à peine si dans l’exécution il est encore reconnaissable à quelques traits fondamentaux.

Au reste, dans la marche de notre existence, il y a quelque chose qui est placé plus haut que tout cela. Il est, en effet, d’une vérité banale et trop souvent confirmée, que nous sommes fréquemment plus fous que nous ne le croyons ; en revanche, avoir été plus sage qu’on ne le supposait soi-même, voilà une découverte que font ceux-là seuls qui se sont trouvés dans ce cas, et, même alors,