Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/265

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourront plus y ajouter foi. Mais nous ne nous trahissons uniquement que dans l’idée qu’il est impossible qu’on ne le remarque pas ; c’est ainsi aussi que nous nous précipitons en bas d’une hauteur par l’effet d’un vertige, c’est-à-dire de cette pensée qu’il n’est pas possible de rester solidement à cette place et que l’angoisse d’y rester est si poignante qu’il vaut mieux l’abréger : cette illusion s’appelle vertige.

D’autre part, il faut savoir que les gens, même ceux qui ne trahissent d’ailleurs qu’une médiocre perspicacité, sont d’excellents algébristes quand il s’agit des affaires personnelles des autres ; dans ces matières, une seule quantité étant donnée, ils résolvent les problèmes les plus compliqués. Si, par exemple, on leur raconte une histoire passée en supprimant tous les noms et toutes les autres indications sur les personnes, il faut se garder d’introduire dans la narration le moindre détail positif et spécial, tel que la localité, ou la date, ou le nom d’un personnage secondaire, ou quoi que ce soit qui aurait avec l’affaire la connexion la plus éloignée, car ils y trouvent aussitôt une grandeur donnée positivement, à l’aide de laquelle leur perspicacité algébrique déduit tout le reste. L’exaltation de la curiosité est telle dans ces cas, qu’avec son secours la volonté met les éperons aux flancs de l’intellect, qui, poussé de la sorte, arrive aux résultats les plus lointains. Car, autant les hommes ont peu d’aptitude et de curiosité pour les vérités générales, autant ils sont avides des vérités individuelles.

Voilà pourquoi le silence a été si instamment recom-