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à s’adonner à une occupation sédentaire, à un travail manuel, méticuleux et pénible, ou bien encore à l’étude et à des travaux de tête, occupations réclamant des forces toutes différentes, non développées chez lui et laissant précisément sans emploi les forces par lesquelles il se distingue, un tel homme se sentira malheureux toute sa vie ; bien plus malheureux encore sera celui chez lequel les forces intellectuelles l’emportent de beaucoup et qui est obligé de les laisser sans développement et sans emploi pour s’occuper d’une affaire vulgaire qui n’en réclame pas, ou bien encore et surtout d’un travail corporel pour lequel sa force physique n’est pas suffisante. Ici toutefois, principalement pendant la jeunesse, il faut éviter l'écueil de la présomption et ne pas s’attribuer un excès de forces que l’on n’a pas.

De la prépondérance bien établie de notre première catégorie sur les deux autres, il résulte encore qu’il est plus sage de travailler à conserver sa santé et à développer ses facultés qu’à acquérir des richesses, ce qu’il ne faut pas interpréter en ce sens qu’il faille négliger l’acquisition du nécessaire et du convenable. Mais la richesse proprement dite, c’est-à-dire un grand superflu, contribue peu à notre bonheur ; aussi beaucoup de riches se sentent-ils malheureux, parce qu’ils sont dépourvus de culture réelle de l’esprit, de connaissances et, par suite, de tout intérêt objectif qui pourrait les rendre aptes à une occupation intellectuelle. Car ce que la richesse peut fournir au delà de la satisfaction des besoins réels et naturels a une minime influence sur notre véritable bien-être ; celui-ci est