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lui-même qu’il y aperçoit et qu’il s’imagine voir un autre chien. Qui critique les autres travaille à son propre amendement. Ceux-là donc qui ont une tendance habituelle à soumettre tacitement dans leur for intérieur les manières des hommes, et en général tout ce qu’ils font ou ne font pas, à une critique attentive et sévère, ceux-là travaillent ainsi à se corriger et à se perfectionner eux-mêmes : car ils auront assez d’équité, ou du moins assez d’orgueil et de vanité pour éviter ce qu’ils ont tant de fois et si rigoureusement blâmé. C’est l’inverse qui est vrai pour les tolérants, savoir : « Hanc veniam damus petimusque vicissim » (Nous accordons et réclamons le pardon tour à tour). L’Évangile moralise admirablement sur ceux qui voient la paille dans l’œil du voisin et ne voient pas la poutre dans le leur ; mais la nature de l’œil ne lui permet de regarder qu’au dehors, il ne peut pas se voir lui-même ; c’est pourquoi remarquer et blâmer les défauts des autres est un moyen propre à nous faire sentir les nôtres. Il nous faut un miroir pour nous corriger. Cette règle est bonne également quand il s’agit du style et de la manière d’écrire ; celui qui en ces matières admire toute nouvelle folie, au lieu de la blâmer, finira par l’imiter. De là vient qu’en Allemagne ces sortes de folies se propagent si vite. Les Allemands sont très tolérants : on s’en aperçoit. Hanc veniam damus petimusque vicissim, voilà leur devise.

32° L’homme de noble espèce, pendant sa jeunesse, croit que les relations essentielles et décisives, celles qui créent les liens véritables entre les hommes, sont