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se comporter de la même manière qu’une fois précédente, quand les circonstances ont changé. Au contraire, la disposition et la conduite des hommes changent tout aussi vite que leur intérêt : les intentions qui les meuvent émettent leurs lettres de change à si courte vue, qu’il faudrait avoir soi-même la vue plus courte encore pour ne pas les laisser protester.

Supposons maintenant que nous voulions savoir comment agira une personne dans une situation où nous avons l’intention de la placer ; pour cela, il ne faudra pas compter sur ses promesses et ses protestations. Car, en admettant même qu’elle parle sincèrement, elle n’en parle pas moins d’une chose qu’elle ignore. C’est donc par l’appréciation des circonstances dans lesquelles elle va se trouver, et de leur conflit avec son caractère, que nous aurons à nous rendre compte de son attitude.

En thèse générale, pour acquérir la compréhension nette, approfondie et si nécessaire de la véritable et triste condition des hommes, il est éminemment instructif d’employer, comme commentaire à leurs menées et à leur conduite sur le terrain de la vie pratique, leurs menées et leur conduite dans le domaine littéraire, et vice versa. Cela est très utile pour ne se tromper ni sur soi ni sur eux. Mais, dans le cours de cette étude, aucun trait de grande infamie ou sottise, que nous rencontrions soit dans la vie soit en littérature, ne devra nous devenir matière à nous attrister ou irriter ; il devra servir uniquement à nous instruire comme nous offrant un trait complémentaire du caractère de l’espèce humaine, qu’il